Présentation du projet scientifique du Gersa - 2006/2009

Le champ de la recherche est celui de la scénographie en relation avec l’objet architectural et urbain. La problématique centrale de cette équipe est celle de la scénologie.


Contexte et perspectives : politique d’établissement et mise en réseau


Le transfert à Nantes en 1999 a favorisé la mutation de la formation professionnelle spécialisée (réflexion en cours sur la création d’un diplôme d’Etat de scénographe). Surtout, l’environnement a offert de nouvelles opportunités concernant la recherche. D’une part l’environnement urbain avec l’évolution de la métropole nantaise (par exemple l’Ile de Nantes où se situe la construction de la nouvelle école), l’environnement artistique et culturel propre à cette agglomération et plus largement à la région, d’autre part l’environnement en matière d’enseignement et de recherche à l’ENSAN avec deux laboratoires, le CERMA Unité CNRS UMR 1563 et le LAUA, créent des conditions favorables à la résurgence du GERSA. Ainsi, Bruno Suner est actuellement doctorant en histoire des techniques au CDHT-CNAM sur le thème Maîtrise des ambiances dans les salles de spectacles et d’audition de la période pré-révolutionnaire à 1939. Eric Monin, actuellement enseignant à l’ENSA de Lille chercheur associé au CERMA, a soutenu son doctorat à Nantes au sein du laboratoire CERMA sur le thème Ambiances et dispositifs éphémères en milieu urbain . Laurent Lescop a travaillé sur la représentation des ambiances et sur la sémiologie architecturale (thèse soutenue en 1999). L’application de ce travail de recherche s’exerce dans un enseignement portant sur de nouvelles formes de conception du projet. Par ailleurs, par son activité éditoriale et ses diverses publications, Marcel Freydefont a contribué à l’effort de recherche et de réflexion. Dans la perspective du développement d’une nouvelle équipe, il envisage de solliciter une HDR.


Cette nouvelle équipe vise à renforcer la structuration de l’ENSA Nantes en matière de recherche, en complémentarité avec les deux laboratoires de recherche déjà existants, le CERMA et le LAUA., dans le cadre du projet d’établissement de l’ENSA Nantes, largement ouvert à l’évolution des formes , des ambiances et des pratiques urbaines.

Ensuite, deux initiatives extérieures contribuent à conforter ce projet de nouvelle équipe dans une dynamique de mise en réseau.

D’une part, l’ENSAN – à travers son « département scénologie » - est engagée depuis 2003 dans la préfiguration de l’Institut Européen de Scénographie dont le siège est à l’université de Montpellier, au sein du Centre d’étude du XXe siècle, en lien avec le Département des Arts du Spectacle. Cette préfiguration d’un Institut Européen de Scénographie est placé sous la direction de Luc Boucris, professeur en Etudes théâtrales à l’Université Paul-Valéry à Montpellier, qui a déjà fait partie de la première équipe de recherche du GERSA de 1990 à 1993, travaillant sur les pratiques et le sens de la scénographie aujourd’hui. La fondation de cet organisme transversal s’inscrit dans un mouvement d’ouverture et de mise en relation qui vise à développer la recherche dans les registres culturel et artistique, et ainsi à mieux articuler pensée théorique et réalisations artistiques. Cette initiative est rendue nécessaire à la fois par les développements scientifiques et techniques et par les changements profonds qui affectent les rapports de l’art (de l’artiste) et de la société dans son ensemble. De ce double point de vue, la scénographie est une discipline pivot sur laquelle il convient de se pencher de façon spécifique. C’est en effet une discipline qui appelle des rapports privilégiés entre l’artiste et l’instance qui le sollicite aux fins de l’élaboration d’une représentation (auteur dramatique, metteur en scène, chorégraphe, réalisateur, commissaire d’exposition), qui entretient un lien particulier avec la technique (les techniques, ou encore les nouvelles technologies), qui est au carrefour de nombreuses pratiques (le théâtre bien entendu, sous toutes ses formes, mais aussi l’exposition, l’architecture, l’urbanisme, le design, le cinéma, les arts vidéo). Cette initiative a des effets concrets. Ainsi deux étudiantes ayant obtenu leur diplôme Scénographe DPEA, Marion Lyonnais en 2001, Hélène Cuvillier en 2003, sont actuellement l’une doctorante, l’autre en DEA au sein du Département Arts du Spectacle de l’Université Paul Valéry de Montpellier, dans le cadre de cette préfiguration de l’Institut Européen de Scénographie. Un enseignant vacataire de l’ENSAN, membre de l’équipe pédagogique du cycle Scénographe DPEA, Philippe Lacroix, est également doctorant à Montpellier. Le titre de sa thèse en cours est : Esthétique et technique, un autre schéma de production pour la scène et la scénographie.

D’autre part, l’ENSAN va rejoindre le projet de mise en place d’un réseau de recherche international ayant pour objet le développement culturel et l’espace public urbain. Début 2005, et sous l’égide du ministère de la Culture, une opération nationale d’une durée de trois années a été lancée, dénommée « le temps des arts de la rue ». Elle s’est donnée comme programme de consolider et d’aider au développement d’un secteur peu encore pris en compte par les politiques culturelles publiques. Cette approche a d’abord permis la mise en place de groupes de travail et de réflexion ayant rendu, début septembre 2005, des conclusions d’étape en vue d’inscrire au budget 2006 une première série d’actions. Dans le cadre des mesures présentées sur l’action en faveur du théâtre, neuf axes ont été dégagés, correspondant aux préconisations des groupes de travail. Le dernier de ces axes concerne tout particulièrement le projet de mise en place d’un réseau de recherche international . Il a comme objectif de « mieux connaître et faire connaître les arts de la rue », ainsi que se nomme le groupe de travail piloté par Philippe Chaudoir, enseignant-chercheur à l’Institut d’Urbanisme de Lyon (Université Lyon 2). Comme l’indique le texte de cadrage du ministère, publié dans le cadre des mesures en faveur du théâtre, « sur le plan des connaissances, l’étude nationale sur le public des arts de la rue piloté par le DEPS rentrera dans sa phase de réalisation et seront également impulsées de nouvelles recherches sur les esthétiques qui traversent ce secteur. En outre, un réseau d’échanges sera impulsé dans les milieux universitaires et de la recherche ». Ce réseau de chercheurs impliqués dans ce champ d’analyse se constitue sous la responsabilité de Philippe Chaudoir. Ce réseau peut disposer, d’ores et déjà, d’un appui du ministère de la Culture et il devra solliciter le soutien d’autres ministères ou organismes compétents dans le domaine (par exemple le PUCA, au Ministère de l’Equipement, la DIV). Ce réseau repose également sur l’assise institutionnelle d’une unité mixte de recherche CNRS / Université : l’UMR 5600 « Environnement, Ville et Société » qui l’a inscrit dans un de ses axes : « Dynamiques culturelles et développement urbain ». Ce réseau a donc comme objectif de solliciter et de rassembler des chercheurs de l’UMR 5600 (Université Lyon 2), des chercheurs CNRS, des enseignants-chercheurs d’autres universités françaises et des écoles d’architecture, des doctorants, des personnes qualifiées, ainsi que des chercheurs d’universités ou d’organismes de recherche européens (Espagne, Pologne, Roumanie) et internationaux (Canada). L’ENSAN va répondre à cette offre à travers le CERMA, le LAUA et le GERSA. De même ce projet de mise en place d’un réseau de recherche international ayant pour objet le développement culturel et l’espace public urbain pourra à terme être mis en rapport avec le projet porté par l’ENSAN d’un Institut de recherche en Sciences et Techniques de la Ville-IRSTV.

Tous ces éléments éclairent le présent projet de mise en place d’une nouvelle équipe, le GERSA, qui se donne pour objet d’étude la scénographie en relation avec l’objet architectural et urbain et qui a pour problématique centrale la scénologie.


Problématique : l’étude scénologique


Dès le premier dossier de la formation à la profession de scénographe soumis à l’habilitation sous forme de CEAA en 1984 et dès le premier rapport d’activités déposé en 1987, une grande attention a été portée à l’explicitation de l’intérêt scientifique et à la construction d’une problématique.

C’est dans ce contexte que le terme de scénologie a été employé pour désigner la problématique choisie, liée à l’étude scientifique de la pratique de la scénographie au théâtre et au-delà du théâtre. L’emploi de ce terme renvoyait à un objectif de recherche. Le texte introductif au programme d’enseignement conserve une actualité pour cerner les axes de recherche du GERSA et définir le sens donné à ce terme de scénologie : « Lorsque l’architecture, pour se développer et s’enrichir, retourne à elle-même et à son histoire, elle découvre toutes les disciplines de création avec lesquelles elle est en relation ». Le développement des arguments porte sur la nécessité de rechercher des terrains de rencontre entre architecture et culture, sur la dialectisation de l’histoire des disciplines ayant trait à l’espace, sur le ressourcement de l’architecture à travers un jeu d’analogies, d’emprunts et de métissages - à travers l’introduction de valeurs de civilisation et de culture dans le construit, à travers le traitement symbolique de l’espace -, sur la critique d’une autonomie de l’architecture s’épuisant à se ressourcer seulement en elle-même, sur la parenté fondamentale des arts de l’espace et des arts de la scène, exprimé notamment par la double métaphore de la ville et du théâtre.


Les vingt années de formation en scénographie ont permis de creuser ces sillons et ont apporté de nouvelles thématiques propices à la recherche. Pour n’en évoquer que quelques unes : la question des temporalités, la question du lien au vivant et à la fiction, la question de l’immatérialité. La dialectique de l’éphémère et du durable, du provisoire et du permanent s’énonce différemment qu’il y a vingt ans. De même, la relation qu’établissent des populations avec leur cadre de vie/cadre de vue implique de nouvelles approches, notamment pour ce qui concerne l’irruption de l’imaginaire et de la fiction dans l’espace public. Enfin, la montée en puissance des outils informatiques et du multimédia, l’arrivée de nouveaux matériaux composites, bousculent le partage des compétences (acteur/spectateur, émetteur/récepteur, conception/construction), la frontière des disciplines artistiques et intellectuelles (hybridation des arts, interdisciplinarité, transdisciplinarité), la part du matériel et de l’immatériel.


De ce point de vue, la culture des arts de la scène – arts de l’éphémère s’il en est – est un apport précieux. La scénographie est fortement active dans ce questionnement. Aussi, est-il indispensable de détailler le fondement de cette problématique scénologique.

« Avoir lieu »


L’architecture, l’urbanisme, le paysagisme ont en commun avec le théâtre et le cinéma de conjuguer l’espace, le temps, l’action, pour susciter sens, valeur, repère. Les arts de l’espace et les arts de la scène - arts de la représentation - donnent à voir, à entendre, à sentir. Cette question de la représentation et de la valeur représentative est considérée comme essentielle. Elle est envisagée ici dans une optique dramaturgique et scénographique : représentation théâtrale, cinématographique.


Arts du point de vue, de l’écoute et de la présence, les arts de la scène et les arts de l’écran dramatisent le cadre spatial en plaçant en son cœur l’homme, acteur et spectateur. L’acteur est celui qui incarne, qui effectue, qui accomplit, qui rend présent, qui donne vie à une œuvre dramatique, lyrique, chorégraphique, cinématographique, dont il est l’interprète. Les moyens de l’acteur sont ceux de sa voix, de son corps et de son esprit : attitude, gestuelle, déplacement, mouvement, emplacement, posture, position, station, déambulation, souffle, respiration, élocution, diction, déclamation, parole, chant. L’acteur engage une énergie. Le spectateur est celui qui regarde, qui écoute, qui reçoit, qui réagit. Qu’il soit assis ou debout, statique ou en mouvement, que sa réaction soit retenue ou débordante, le spectateur participe activement à la représentation qui lui est donnée, avant tout en ce que celle-ci s’achève dans sa conscience et son imagination. Cette part du vivant est capitale.


L’architecture théâtrale est d’abord une architecture humaine, une architecture existentielle qui dessine une ligne de partage visible ou invisible, matérielle ou immatérielle, entre l’espace de l’acteur et celui du spectateur. Il en est ainsi de la position de l’homme au théâtre comme de celle de l’homme au monde : l’homme au théâtre est situé à la fois face à une représentation vis-à-vis de laquelle il se met à distance, et totalement immergé dans cette représentation ; tout homme est à la fois face au monde et inclus dans ce monde, au sein duquel il vit. La représentation théâtrale ou cinématographique modélise, mesure, sensibilise notre rapport au monde.

Le langage courant dit de tout événement qu’il « a lieu ». Cette métaphore spatiale est éloquente. Une événement, c’est ce qui arrive, ce qui advient, ce qui se passe quelque part. En regard de la notion d’événement, la notion de lieu s’avère fondamentale. Tout lieu suppose une histoire, une vie, une humanité. Hugo disait que le lieu est « le témoin terrible et inséparable » de tout drame. Un lieu est une portion d’espace, située, historiée et dramatisée, pleine d’un récit et d’une relation humaine, c’est-à-dire propre à relater, et aussi à relier. Tout lieu engage un lien. Tout récit a un fil, même décousu. Le lieu est dépositaire de cet ensemble en ce qu’il circonstancie l’événement ou son récit. Cadre matériel et univers mental, le lieu scénique est à l’intersection d’un jeu entre le réel et le fictif, entre des données physiques et des données imaginaires, entre l’action de l’acteur et la réception du spectateur. Tout lieu scénique articule un certain rapport entre sa qualité de lieu de représentation, de rassemblement d’un public, d’échange avec ce public, et sa capacité de représentation sous une forme ou une autre d’un ou de plusieurs lieux attachés au récit, à la relation, à la fiction, à l’événement, qui y sont convoqués. On parle couramment de « planter le décor » quand il s’agit pour un témoin de relater un événement : avant de raconter un fait, un journaliste plante le décor, et à la télévision, quand il intervient depuis ce qu’on appelle le théâtre des opérations, il se plante devant le décor. Ces notions de plantation et de décor ont une origine théâtrale évidente. Elle demandent à être explorées, visitées, commentées, éprouvées pour les comprendre. Elles articulent ce lien entre un lieu et un événement, c’est-à-dire entre un emplacement et le déroulement d’un fait particulier.


C’est cet échange entre ces deux termes que la scénologie, problématique générale d’étude à visée scientifique, veut saisir sur la base du concept de scène, défini comme un découpage et un montage, sensé et sensible, de l’espace, du temps, de l’action. En un sens, le théâtre est en partie l’articulation d’une histoire et d’une géographie placée sous un certain point de vue. Le dispositif ainsi articulé obéit à une logique scénique. En s’appuyant sur cette étude, il s’agit de connaître les conditions propres à l’instauration et à l’efficience de cette logique scénique. Il s’agit d’établir les bases théoriques et critiques de la culture de l’espace particulière à la pratique scénographique, principal objet d’étude de la scénologie, telle qu’elle se développe au sein de la pratique théâtrale et cinématographique, et d’en transmettre la compétence de regard et de geste.

Il s’agit également d’étudier comment cette compétence peut être développée dans le domaine du projet architectural et urbain, ou dans tout autre domaine impliquant l’aménagement d’un espace. Ce qui a été dénommé dans les années 1980 l’élargissement de la scénographie, c’est-à-dire l’extension de la pratique scénographique à des champs d’intervention autres que ceux des arts de la scène et de l’écran, comme par exemple l’exposition ou encore la scénographie urbaine, constitue un centre d’intérêt privilégié pour l’étude scénologique. Cette extension tient au fait que, notamment en France à partir des années 1970, les concepts de théâtralité, de scène, de scénario, de mise en scène, de scénographie ont été progressivement revendiqués par un grand nombre de disciplines. Dans les vingt dernières années, l’architecture et le projet urbain ont revendiqué à nouveau leur dimension scénographique.


Depuis les années 1980, le dépassement de la coupure architectes/intellectuels, le retour de l’architecture dans le champ de la culture et la recherche de terrains de rencontres entre l’architecture et les arts, ou entre l’architecture et les disciplines des sciences physiques ou des sciences humaines, ont largement modifié l’approche et la pratique architecturale. Jean-Louis Cohen écrivait en 1984 que l’architecture dans la reconquête de son histoire et la redéfinition de son identité s’est trouvée dans la situation d’être forcée « par l’extérieur ». Ainsi il constate que notamment « psychanalyse d’un côté, cinématographe de l’autre, sont deux champs de force qui ont façonné de façon le plus souvent implicite si ce n’est inconsciente le mode de pensée des architectes, leur fournissant des modalités de découpage et de transformation du réel. » Il s’agit alors, dans une dynamique d’entrecroisement des disciplines, d’analogie, de métissage, d’hybridation, d’emprunt des références et des procédés, de ressourcer l’architecture. Cela rejoint le constat établi par Adorno dès 1967 de l’ « effrangement » à l’œuvre des arts et des disciplines. Ce ressourcement et cet entrecroisement sont largement effectifs depuis de nombreuses années. L’architecture ne restreint pas ses références à sa seule histoire : l’influence du cinéma, du théâtre, de la danse, de la musique est notable dans les nouvelles théories et pratiques architecturales (Jean Nouvel, Bernard Tschumi, Rem Koolhaas, Henri Gaudin, Patrick Bouchain), succédant à la critique du modernisme et du fonctionnalisme effectuée notamment par Robert Venturi ou Peter Blake. Ainsi l’attention à nouveau portée au traitement symbolique de l’espace, à sa valeur de représentation, sans renoncer à ses dimensions instrumentales et fonctionnelles, atteste cette évolution. Ainsi l’attention portée à la dimension sensible, corporelle, aux ambiances est-elle largement répandue. Le terme d’ambiance est à considérer de façon plus large que la mesure scientifique et le contrôle technique de environnement physique. La dimension esthétique et synesthésique est importante. Ce mouvement s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause de la théorie de l’émancipation de l’architecture au sein d’une théorie générale des disciplines qui affirmeraient chacune leurs frontières naturelles, et de la théorie de l’autonomie architecturale : ainsi le retour en force de la question de la contextualisation est un indice de cette mutation. L’architecture théâtrale et plus largement l’architecture des lieux scéniques nouveaux (par exemple celles des Zéniths) constituent un miroir vivant, une forme de représentation exemplaire, notamment dans l’étude des relations instaurées entre maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre et maîtrise d’usage, entre programmation, conception architecturale et mise en exploitation.

Quelle est par ailleurs la situation de la scénologie d’un point de vue terminologique et scientifique?

Le terme de scénologie est défini de façon classique comme la science de la mise en scène au théâtre[1]. A l’occasion d’un ouvrage de Jean Rousset, Leurs yeux se rencontrèrent, publié aux éditions José Corti en 1981, il est employé dans un sens plus général, celui de l’étude de la structure d’une scène, inaugurant ainsi une discipline nouvelle. Cet ouvrage est consacré à l’étude d’une scène clé dans l’univers du roman : la scène de la première rencontre. Elle constitue une forme fixe, liée à une situation fondatrice, d'ailleurs extra-littéraire. L’hypothèse de Jean Rousset est que cette scène déclenche de façon inévitable un mouvement, une série de conséquences proches et lointaines. Le code en est continu et résiste aux coupures historiques et culturelles. Le corpus en est presque infini. A partir de traits constants, Rousset construit un modèle en isolant trois concepts : I'effet, I'échange, le franchissement ; puis, ayant identifié ce modèle, il en identifie les écarts. L'analyse des scènes vérifie la présence permanente de certaines caractéristiques : description du lieu, soudaineté, échange de regards, reconnaissance (platonicienne). Il en déduit trois types de scènes, selon un jeu de combinaisons à trois termes : apparition, disparition de l'héroïne (ou du héros), quête ; apparition, conjonction, quête (recherche commune, menée par les deux héros réunis); combinaison des deux précédents : apparition-conjonction, quête commune, disparition. On voit ainsi dans cet exemple que le recours à la notion de scénologie implique plus que la simple étude dramaturgique (l’intrigue), plus que la simple analyse narratologique, notamment en ce qu’il intègre fortement la question des circonstances, notamment spatiales.


La scénologie générale en tant que discipline d’étude scientifique est un objectif que s’assigne une équipe de recherche de l’Université de Paris 8. Elle étudie ce qui a dans un premier temps été désigné comme « les comportements humains spectaculaires organisés » pour être dénommé ensuite « les pratiques performatives » des divers groupes et communautés culturels du monde entier. Ces pratiques performatives sont considérées dans leurs contextes spécifiques. L’étude des relations entre ces pratiques, les arts, les systèmes de connaissance, de croyance et d’action a conduit le groupe de recherche à proposer le terme d’ethnoscénologie, pour identifier le champ disciplinaire dans lequel il se situe (mai 1995). Le terme de pratiques performatives se réfère au néologisme proposé par Jerzy Grotowski lors de sa leçon inaugurale pour la chaire d’anthropologie théâtrale au Collège de France, le 24 mars 1997. L’adjectif « performatif » entend souligner la globalité du phénomène étudié - y compris l’activité du performer -, pour ne pas se limiter aux aspects émergents perçus par le spectateur ou le témoin. L’ethnoscénologie associe les disciplines scientifiques vouées à l’exploration et à l’analyse du comportement humain - sciences humaines, (notamment l’anthropologie, l’ethnologie et les disciplines associées) et sciences du vivant, (notamment les neurosciences) - , les sciences de l’art, le savoir et le point de vue des praticiens et des publics. Par les questions qu’elle suscite, l’ethnoscénologie joue un rôle tout à fait spécifique vis-à-vis des études théâtrales et chorégraphiques traditionnelles, car elle oblige à relativiser - en soulignant la spécificité de notre culture - les oeuvres et les pratiques occidentales du spectacle. En s’attachant à rendre compte de l’interaction des universaux propres à l’espèce et des particularismes sous-tendus par la capacité d’invention qui la caractérise, l’ethnoscénologie participe à la construction progressive d’une scénologie générale qui ne se limiterait pas à l’analyse des spectacles mais - en privilégiant l'analyse des processus qui les sous-tendent - travaillerait la question : « Pourquoi et comment l’Homme pense-t-il avec son corps » ?

La scénologie telle qu’elle est développée à Nantes vise à constituer des connaissances raisonnées dans le domaine de l’espace à partir de l’expérience de l’espace scénique. La question fondatrice est : comment se forme le lieu et l’espace propices à une représentation dramatique, lyrique, chorégraphique, cinématographique, etc. ? Comment s’articule un lieu de représentation et une représentation de lieu ? Comment se produit de la localité ? A cette question première s’en adjoint une seconde : en quoi la scénographie définit-elle une pratique et une culture spécifique de l’espace ? Cette question implique de savoir ce qui apparente et ce qui différencie la scénographie de l’architecture.


Fondements de l’étude scénologique

La scénologie se donne pour but d’établir les bases théoriques et critiques de la culture de l’espace particulière à la pratique scénographique, telle qu’elle se développe au sein de la pratique théâtrale et cinématographique. L’étude scénologique pose comme première hypothèse de travail que le théâtre se compose principalement et à égalité de trois champs esthétiques et techniques distincts et solidaires : la dramaturgie, la régie et la scénographie. Sur cette base, la scénologie se donne une seconde hypothèse : évaluer de quelle façon le modèle théâtral ainsi défini peut informer l’analyse et l’intervention architecturale et urbaine. Cela nécessite de préciser pour chacun de ces champs quel en est l’objet et le moyen.


- Dramaturgie


L’objet de la dramaturgie est l’action. Son moyen est le texte, vecteur de l’action. Littéralement tissage de l’action, le terme de dramaturgie désigne aujourd’hui une instance double. D’une part, cela désigne l’activité première de composition de l’action par le moyen du texte, du langage : le dramaturge est celui qui écrit, qui compose la pièce ; c’est l’auteur. D’autre part, le terme dramaturgie désigne également au-delà de cette activité d’écriture première une activité de lecture du texte qui peut conduire à établir un texte second. Ce texte second permet de préciser l’interprétation choisie et d’élucider le sens possible, les significations probables, l’horizon de sens engendré par l’œuvre, en tout cas aux yeux de ses interprètes.

Si le texte appartient à l’ordre du langage, celui-ci ne se restreint pas au seul langage littéraire. Le metteur en scène et homme de théâtre, anthropologue, Eugenio Barba insiste sur ce qu’il appelle le « performing text ». Le texte est alors le projet dramatique, c’est-à-dire la structuration d’une action sensée. La forme d’un texte va du texte littéraire composé de façon réglée et savante (cf. une tirade en alexandrin) jusqu’au libre canevas de situations, en passant par la partition musicale ou la notation chorégraphique.

La relation entre un texte et un contexte est primordiale.


- Régie (mise en scène)


L’objet de la régie est le jeu. Son moyen est l’acteur. La représentation scénique d’une action implique une organisation préméditée, que l’on désigne ici du terme général et générique de régie. Par un jeu de mots - régie/énergie/synergie - il est possible de marquer l’enjeu de cette composante.

Le terme vient du latin regere, qui a donné régir, soit diriger, mais aussi administrer, gérer. La régie au théâtre désigne la fonction d’organisation humaine et matérielle de la représentation, l’équipe chargée de l’accomplir et les lieux à partir desquels les ordres sont donnés et les manœuvres ordonnées. De fait, la régie engage de façon décisive toute l’activité scénique pour que la représentation se déroule dans de bonnes conditions : activité artistique, activité technique, activité administrative. Pour ce qui concerne l’activité artistique, si les termes de mise en scène et de metteur en scène ont pris le pas en France sur celui de régie, le terme de régie reste employé en Italie, en Allemagne pour désigner la direction artistique de la représentation. Le régisseur (au sens commun de metteur en scène) est l’interprète d’un texte, un metteur en place, un directeur de jeu.


- Scénographie


L’objet de la scénographie est de composer le lieu nécessaire et propice à la représentation d’une action, le moyen en est l’aménagement de l’espace et du temps. Autant que la spatialité, la temporalité est un élément constitutif du travail scénographique, et cela toujours en relation avec un texte, entendu comme projet dramatique. Il n’y a pas de scénographie concevable sans dramaturgie. Au théâtre, la notion de lieu est une notion esthétique centrale dans l’ordre de la représentation : cette notion conjugue l’espace et le temps. La fameuse règle classique des trois unités, de temps, de lieu et d’action est un exemple du rôle joué par le lieu au sein d’une représentation dramatique.

Le terme de scénographie provient du grec skènègraphia, et désigne à l’origine une ornementation de la façade de la skènè. Au sens étymologique grec, toute scénographie est littéralement une scénopégie, c’est-à-dire l’action de dresser une scène. Maison des acteurs, coulisses, celle-ci est dans l’architecture théâtrale grecque une tente, puis une baraque en bois, et enfin un édifice de pierre situé face aux spectateurs, tangentiellement au cercle de l’orchestra, espace du chœur. Un proskénion s’y adosse, lieu d’apparition et de jeu des protagonistes masqués, qui domine l’orchestra. Le terme grec de skènègraphia est couramment traduit par décors peints, et par extension, décoration théâtrale. Il s’agit alors d’orner par une élévation ou une perspective la façade de la scène, ce qui sera appelé en latin frons scaenae. La variante latine scaenographia, tout en conservant son sens théâtral, lui attribue une signification essentiellement architecturale. C’est, pour un architecte, l’une des trois méthodes de dessin d’un édifice. L’ichnographia est une vue en plan, l’orthographia, une vue en élévation, la scaenographia, une vue en perspective, ou vue d’aspect. La maîtrise de la scénographie est le signe distinctif de la qualité d’architecte. L’italien scenografia a conservé la tradition de cette double étymologie - décoration théâtrale et perspective architecturale - pour désigner un décor figuratif en perspective accentuée, tandis qu’en France les termes de décor et de décoration s’imposaient au théâtre à partir du XVIIème siècle, se substituant à celui de scénographie. A l’époque contemporaine, le terme resurgit en prenant un sens théâtral rénové pour désigner l’interaction effective entre la mise en forme d’un lieu de représentation – scène et salle comprise – engageant la question architecturale -, et la mis en forme de la représentation du lieu de l’action, - engageant le rapport à la dramaturgie et la régie- . Aujourd’hui, le décor n’est qu’un aspect et qu’un élément de la scénographie qui joue du costume, de la lumière, du son, de l’image projetée.

Rendre l’espace actif, définir un point de vue signifiant sur le monde, élaborer des dispositifs qui en assurent la mise en œuvre, assurer un travail réfléchi de découpage de l’espace, du temps de l’action, conférer une valeur poétique à un cadre scénique approprié au drame représenté, tel est le rôle de la scénographie. Pour situer poétiquement l’action, elle propose des métaphores spatiales.

Sans texte, l’acteur est interdit, sans acteur le théâtre n’existe pas, sans lieu, l’acteur est démuni.

Précisant la nature de l’échange entre un lieu et un événement, c’est donc cet échange entre une dramaturgie, une régie et une scénographie pour le temps d’une représentation qui sera au cœur de l’étude scénologique et de la pratique scénographique.


La pratique de la scénographie et les champs de recherche concernés


Si la scénologie se définit comme une problématique visant à constituer un domaine de connaissances, la scénographie quant à elle est considérée comme une pratique, une discipline artistique opératoire, singulière et plurielle, un domaine d’exercice professionnel. Elle est caractérisée par un travail spécifique de conception, de mise en forme et de mise en oeuvre d’un espace aux fins d’une représentation ou d’une présentation publique.

Le théâtre (entendu au sens large du terme : théâtre dramatique, lyrique, chorégraphique, soit tous les arts de la scène, ainsi que les arts de la rue et les arts du cirque) et le cinéma (mais aussi plus largement tout le secteur audiovisuel : télévision, vidéo, multimédia) constituent des domaines fondateurs pour le scénographe et la pratique de la scénographie. Aussi, la confrontation entre ces arts et l’architecture, le design, l’urbanisme, le paysagisme apparaît d’autant plus fertile qu’ils se nourrissent de sources communes et d’emprunts réciproques.

La pratique de la scénographie est envisagée dans toute son amplitude :

  • scénographie de spectacle (théâtre, danse, opéra, musique, arts de la rue, cirque, cinéma, télévision, vidéo, multimédia)
  • scénographie d’équipement et architecture de lieux scéniques (lieux permanents et provisoires de représentation, de rassemblement et d’échange, salles de spectacles, architecture théâtrale) scénographie et projet urbain (la scénographie comme contribution à l’analyse et à l’aménagement urbain)
  • scénographie d’événement (fêtes, commémoration, célébration, interventions)
  • scénographie et architecture d’exposition (musées, muséologie et muséographie, expositions temporaires)

Premier axe de recherche : la scénographie en lien avec l’architecture des lieux scéniques


Il s’agit de dégager les éléments propres aux lieux scéniques, à leur scénographie et à leur architecture. Le lieu scénique sera défini comme lieu de représentation, de rassemblement et d’échange. Le concept de représentation est ici envisagé dans son sens théâtral extensif : théâtre, opéra, danse, cirque, arts de la rue, cinéma. Il s’agit aussi de s’attacher à la question de la représentation d’un lieu au sein d’une œuvre dramatique, lyrique, chorégraphique, filmique : ce qu’on nomme couramment le décor. Il s’agit également de travailler sur l’histoire de la profession de scénographe.


Ce premier axe est développé à travers des études relevant de trois domaines :

a . Le domaine historique avec des études sur l’architecture théâtrale et la scénographie en Europe de 1414 à nos jours
  • Etude comparative des traités de scénographie, de machinerie et d’architecture théâtrale de 1414 à nos jours
  • Hypothèses pour une histoire générale des lieux scéniques (scénographie, architecture, machinerie) de 1414 à nos jours.
  • Inventaire, histoire et typologie des lieux scéniques clos et couverts dans le grand Ouest et dans l’agglomération nantaise (Théâtres, opéras, salles de spectacle, centres culturels, salles des fêtes, salles polyvalentes, auditorium, cirques, café-concert, salles de musiques amplifiées, music-halls, salle de répétition).*
  • Histoire d’une profession : développement de la scénographie du point de vue opératoire (discipline et pratique des premiers « scénographes » chef machiniste et décorateur – comme Boullet au XVIIIème siècle – jusqu’aux aux BET actuels).
  • Changements de décor au théâtre et à l’opéra aujourd’hui : toiles peintes, châssis, trucs et praticables. La situation de techniques traditionnelles au sein d’une scénographie contemporaine. La pratique du décor : de la maquette plane ou en volume jusqu’à la plantation du décor sur le plateau, en passant par les phases d’étude et de construction (dépouillement, épure, plans d’exécution, etc.).
  • Travail sur le théâtre de chambre autour des maquettes construites de scènes et de décors ; recherche sur la place de ces dispositifs dans l’histoire de la scénographie ; développement d’une expression contemporaine de cette forme traditionnelle ; élaboration d’un outil pour la scénographie contemporaine : la cage de scène virtuelle

Une des hypothèses est que la scénographie d’une représentation détermine l’espace d’une façon spécifique. Cela concerne la forme et la mise en forme du lieu de représentation et la représentation du lieu de l’action. Au sein d’un lieu de représentation, la définition du rapport scène salle, ou diagramme dramaturgique, du type de scène et son exploitation, du type de salle conditionnant la disposition du public et réciproquement, est une part influente du travail scénographique. Concernant la représentation du lieu de l’action, par scénographie, on désignera la mise à vue et la mise en écoute d’une œuvre dramatique, lyrique, chorégraphique, etc. par le moyen d’une perspective, d’un cadre et d’un décor, selon une composition obéissant en partie à une logique de production de signes, et en partie à une logique de production d’effets. La qualification d’un espace en lieu implique dans cette étude l’intérêt porté à la topologie et au principe de localité. La détermination de cet espace suscite une architecture ou est contrainte par une architecture, impliquant des moyens de manœuvre qui sont ceux de la machinerie. Une autre hypothèse est de considérer l’architecture théâtrale comme une architecture intérieure, ainsi qu’une architecture existentielle, en tout cas comme quelque chose de provisoire et de modifiable. En tout état de cause, il s’agit de saisir la genèse d’une scénographie et d’une architecture, et la part propre à chacune, dans la dynamique d’une représentation. Pour cela, les études proposées relèvent de la méthode de l’inventaire et de la comparaison, tant pour ce qui concerne les réalisations que pour ce qui relève des conceptions théoriques, en s’attachant notamment à la question des maquettes dans le processus de conception. La réflexion s’appuiera sur l’étude historiographique, terminologique et typologique.

- b. Le domaine théorique et esthétique avec des études sur les conditions spatiales de la représentation théâtrale et cinématographique :

  • Fondements théoriques et esthétiques de la représentation théâtrale : dramaturgie, scénographie, régie.
  • Jouvet et Castellucci : divagation sur la tradition et la modernité du théâtre
Un des hypothèses est que la représentation théâtrale repose sur trois champs définissables à la fois sur le plan pratique et théorique, relevant d’un registre esthétique et technique : dramaturgie, scénographie, régie. Ces trois champs ont la particularité de pouvoir être identifiés et en même temps de se fondre les uns dans les autres. Ils peuvent être associés à trois facultés distinctes plus ou moins solidaires ou autonomes l’une de l’autre : le langage (dire/signifier), l’image (montrer/voir), l’usage (agir/fabriquer). Autrement dit, il est supposé que tout objet matériel ou immatériel présente à toute perception trois « couches » : une couche sensible, une couche intelligible et une couche performative. Une autre hypothèse est que ces instances de la représentation peuvent se hiérarchiser et qu’elles peuvent conduire à des conceptions théâtrales opposables. De ce point de vue, la part faite à l’espace et aux conditions spatiales de la représentation s’avère être un indicateur et un facteur précieux.


c. Le domaine scientifique et technique avec des études sur les conditions de réception du spectacle autour de la notion d’ambiance et de confort impliquant des aspects spécifiques de la conception des lieux de spectacle : visibilité, éclairage, thermique, aéraulique, acoustique.

  • Etude historique du développement des différentes disciplines qui concourent à la maîtrise des ambiances dans les salles de spectacle.

  • Etude de l’identité sonore d’un lieu scénique et relevé acoustique préventif : problématique posée en terme d’objectifs et de modalités. Modalités de relevé de l’identité sonore du lieu propre au lieu de spectacle.

  • Expérimentation aussi des techniques de relevé laser et l’exploitation des données pour la restitution virtuelle des lieux.

  • Analyse de la problématique de la multivalence musique-théâtre (en France peu de salles dédiées uniquement à la musique instrumentale ont été bâties) Au XVIII ème siècle, les salles de jeu de paume délaissées, les concerts se sont ensuite longtemps tenus dans des salles de théâtres ou d’opéra. L’étude vise à connaître comment ont été accueillis ces concerts (cf l’exemple de la salle du conservatoire national au début du XIXème siècle ), quels sont les dispositifs d’ajustement mis en place (par exemple conque d’orchestre).

  • Etude appliquée pour savoir si les Scènes nationales peuvent accueillir des concerts (autrement dit leur acoustique s’y prêtent-t-elle ? Méthode et diagnostic).
Une des hypothèses de cette recherche est que les théâtres et les salles d’auditions (assemblées, amphithéâtres de grande capacité) ont été souvent des lieux d'expérimentation et d'innovation contribuant à l'intégration de nouvelles techniques dans la construction (développement des aspects normatifs, évolution de l'état de l'art). Favorisant l'expérimentation du contrôle de la ventilation et du chauffage puis du conditionnement d'air, ces lieux, pilotes pour l’électrification de l’éclairage, ont aussi posé les problèmes acoustiques les plus ardus (intelligibilité de la parole dans les grandes salles d'assemblées aux Etats-Unis, en France et en Angleterre). Ces réalisations ont ainsi servi de terrain d'exploration pour la mise au point de solutions innovantes ensuite étendues à d'autre domaine de la construction. C’est aussi parfois le lieu de leur échec sanctionné rapidement par leur « exposition médiatique » privilégiée. Elles ont constitué de fait les véritables laboratoires de la maîtrise du confort et des ambiances dans le bâtiment. Les salles de spectacles - lieux de plaisir - jouent là un rôle de prototype au même titre que celui joué par l'architecture hospitalière en matière d’hygiène. Une autre hypothèse est de définir un axe inventaire et patrimoine. L’idée est de définir les modalités de ces relevés. Cette hypothèse est liée au développement de l’idée qu’un relevé acoustique préventif s’impose (cf destruction du théâtre du Liceu à Barcelone,ou de la Fenice à Venise).


Deuxième axe de recherche : la scénographie urbaine et paysagère

Il s’agit de dégager les éléments spécifiques d’une approche scénologique étendue à l’objet architectural et au territoire urbain . Cela rejoint les anciennes préoccupations des visées perspectivistes (et l’on se souvient que scénographie et perspective ont partie liée dans l’histoire occidentale de l’architecture) sans se restreindre à celles-ci. Cela rejoint également la pratique de l’architecture éphémère pour les fêtes et cérémonies.

  • Scénographie et paysage urbain : que faire des notions de paysage, de décor, de scène
  • La ville comme théâtre : le théâtre de rue pris au pied de la lettre


Dans la perspective du développement et du renouvellement urbain, l’objectif est de faire un inventaire des nouvelles pratiques urbaines mettant en jeu le domaine artistique, culturel et social (monde de l’art, du spectacle, des fêtes, du tourisme et des loisirs) en interaction avec le monde du travail, de l’éducation et les pratiques habitantes en se plaçant du point de vue d’une scénographie urbaine. Sous ce terme sont considérées d’abord les pratiques événementielles éphémères, uniques ou périodiques, investissant l’espace public ouvert ou clos, traité ou délaissé.

La scénographie urbaine désigne également une approche spécifique du cadre bâti en général et de l’espace public urbain en particulier.

L’étude des problèmes techniques, éthiques, esthétiques et politiques liés à l’intervention et à l’aménagement urbain peut être envisagée à travers ces questions du paysage, du décor urbain et de l’événement. Il s’agit de mesurer l’impact de ces scénographies et de ces architecture éphémères dans l’élaboration de la forme urbaine.Un autre axe de recherche est de travailler sur le mode opératoire conceptuel en architecture, ses tenants et ses aboutissants. L’étude est orientée vers une des composantes spécifiques de la manière de faire ou non l'espace, de l'inscrire ou non, comme acte délibéré ou affichage d'une forme de refus à exister dans un lieu, comme une délocalisation spatiale.Espaces de pensée et pensées d'espace, une forme de mutation d'une apparente homogénéité vers une réelle hétérogénéité , un glissement du mode opératoire qui caractérise l'une des constituantes de la dimension scénologique de l'espace. Une des hypothèses est de poser en corollaire à toute conception architecturale la question de la mise en scène de la spatialité des édifices et les incidences générées sur et par l'espace urbain par cette mise en scène. En contrepoint à cette première hypothèse, une autre hypothèse est d’affirmer au contraire le processus d'indifférenciation à cette dimension scénologique du cadre bâti. En somme la question de la distance et de l'absence comme fruit d'une posture autarcique voir autiste.

Troisième axe de recherche : la scénographie virtuelle


Cet axe vise à développer une problématique autour des outils de représentation et de communication du projet architectural ou scénographique. Il interroge la temporalité dans la conception et l’aménagement de l’espace. Il questionne le sens à donner à l’utilisation des outils d’exploration interactive du projet architectural et urbain. L’architecture est considérée ici comme média issu du champ de la représentation, et non plus comme discipline autoréférentielle. L’objectif étant de repérer les démarches de conception fécondée par cette incursion dans le domaine du récit. L’espace du projet est abordé comme espace de fiction. Il met en jeu des procédés narratifs.


  • Constitution d’un corpus de références par la production d’études monographiques et critiques de démarches de conception et de composition d’architectes, urbanistes, paysagistes se référant aux procédés narratifs et aux arts du temps et du mouvement (cinéma, danse, musique, théâtre) intégrant toutes les dimensions de l’expérience sensible (kinesthésiques, sonores, lumineuses, tactiles :étude sur l’UFA PALAST DE COOP HIMMELB(L)AU - L’œuvre de Bernard Tschumi.

  • Synthèse documentaire et technique sur l’impact de nouvelles approches de la conception mettant en jeu les techniques numériques (réalité virtuelle, capture du mouvement, restitution des ambiances, analyse du déplacement des foules).Etude critique sur la restitution d’élément du patrimoine ancien (formulation et vérification des hypothèses sur les paramètres d’ambiance) ou contemporain (exemple à Nantes : magasin Decré de H. Sauvage, Théâtre de la Renaissance, Place du Bouffay – Musée des Ducs de Bretagne) et la scénarisation de leur présentation (visite interactive, documentaire audio-visuel). Relation avec le pôle OSTIC (voir http://www.iht.asso.fr/modules/news/index.php?storytopic=3)

  • Du texte à l’image, de l’image au lieu : constitution d’un corpus de référence sur les textes et récits patrimoniaux ou littéraires décrivant villes ou lieux utopiques ou imaginaires.

Une des hypothèses est que la chronotopie introduit l’ordre du temps, de l’espace et de l’expérience kinesthésique dans la démarche du projet architectural. Elle aborde la déambulation comme constitutive de la trame du récit, étudie les continuités ou discontinuités narratives du « discours » architectural, étudie les recherches de cohésion dans les séquences, le travail de découpage et de montage à l’œuvre. Cette approche privilégie la subjectivité de la pratique de l’espace. ..).


Une autre hypothèse est que les techniques numériques ont dans un premier temps permis de restituer la géométrie du lieu, puis la structure par le biais d’habillage de matières. Il a été ensuite possible de se déplacer à l’intérieur d’un espace virtuel, puis de l’éclairer. D’une finalité de représentation, de visualisation, les techniques numériques ont évolué vers une finalité de restitution (preuve par la physique des phénomènes que ce qui est restitué correspond à du réel) et se dirigent maintenant vers des finalités prédictives. Cela concerne les formes d’espaces, mais également la lumière, le son et de façon émergente, le mouvement, le comportement de masse ou individuel dans une interaction sensible avec l’espace. Les enjeux derrière ces évolutions sont de passer d’un mode de vérification, de validation (bien souvent par essais/erreurs) à un mode de conception inverse, partant du résultat attendu pour aller vers les moyens de l’atteindre.

Une partie de la recherche autour de ces thèmes vise à asseoir une pratique pédagogique du projet en architecture résumée ci-après : expérimenter deux échelles particulières dans le projet l’espace sensible (qui place l’être dans sa sphère de perception) et la temporalité née du mouvement dans l’espace ou des transformations qui s’y opèrent. L’échelle du perçu comme l’échelle temporelle ne décrit pas l’espace dans son acception strictement géométrique cartésienne. Ces échelles mobilisent de nouveaux opérateurs : préconception, anticipation, souvenir, habitude, surprises ou attachement (identification). La conception spatiale, architecturale ou urbaine, intégrant ces échelles invite les étudiants à reconsidérer leur démarche de conception en plaçant l’être percevant au centre du dispositif spatial. Cet être percevant définit l’espace en fonction de ses déplacements, de ses actions et ses intentions, de ce qu’il peut voir ou entendre de ce qu’il connaît de l’espace. L’espace peut être composé à partir de saynètes-actions (proches des patterns d’Alexander ou de ce que l’on pourrait appeler des topiques (d’ambiance, d’action…). L’ensemble des saynètes est composé dans un récit intégrant les figures narratives (ellipses, répétition, citations etc…). L’utilisation simultanée de l’espace et du temps dans un processus de conception fait appel à la notion de chronotopie théorisée par Bakhtine et utilisée en sémiotique.


Les récits de voyages, les recueils de traditions, les visions utopiques ont alimenté l’imaginaire des architectes et des urbanistes trouvant dans ces pages certaines réponses conjoncturelles aux interrogations auxquelles ils étaient (et sont) soumis. Ces textes sont souvent passés auparavant par le l’imaginaire du théâtre où les nécessités d’applicabilité sont moins fortes et ont été mis en œuvre dans ce que l’on a appelé les villes idéales. Les villes utopiques ou imaginaires proposent une organisation spatiale des idées, chaque élément physique devenant le symbole d’un argument.


[1] Dictionnaire méthodique du français actuel, Robert éditeur, Paris 1985